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 La fraternité universelle

 

Par Raymond Poincarré Ibea

 

 

    Étymologiquement le mot « fraternité » tire son origine du mot latin « frater » qui signifie en français « frère ». De manière générale, ce mot renvoie à un lien de sang qui unit plusieurs personnes au sein d'une même famille. Il s'agit en fait de relations existant naturellement entre les frères et sœurs, relations dont le socle est l'amour, la solidarité, la concorde, l'entraide et l'harmonie. La fraternité au sens populaire est ainsi définie comme l'expression du lien affectif et moral qui unit une fratrie.

 

    Aussi, parler de fraternité amène à évoquer directement un concept dont le champ d'application se réduirait à un espace restreint, à savoir la famille. Au regard du caractère restrictif de cette notion, on est en droit de s'interroger sur la possibilité de l'étendre à un espace plus large qui engloberait, non pas une mais plusieurs familles, par-delà les pays et les continents, le temps et l'espace, intégrant ainsi la notion de fraternité universelle.

 

    À ce propos, le dictionnaire français donne une série de définitions de ce terme, parmi lesquelles certaines dépassent le seul cadre de la famille, et englobent des espaces beaucoup plus larges tels que les associations ou l'ensemble de l'humanité. Seulement, le constat actuel suscite en nous certaines interrogations : peut-il réellement exister une fraternité universelle, ou alors est-ce simplement une vue de l'esprit ou même une utopie ?

 

 Un terme polysémique

 

    Depuis l'apparition de l'homme sur le plan terrestre, le premier regroupement s'est toujours effectué au sein de la famille. Les frères et sœurs liés par le sang se sentent responsables et solidaires les uns des autres. Dans certaines traditions, il nous a été rapporté que ce lien ne devait sous aucun prétexte être dénaturé, exemple pris du pharaon qui épousait sa sœur.

 

    Mais si à la base le terme « fraternité » fait référence à l'harmonie, la concorde et la solidarité, fondées sur le lien du sang, il n'en demeure pas moins que ces sentiments peuvent exister entre des personnes n'ayant aucun lien familial et que tout sépare, à commencer par l'espace, la race, la langue, la culture, etc. En d'autres mots, la notion de fraternité n'est pas exclusive à la famille, mais peut s'étendre en un espace plus large, comme l'indique la définition suivante : « lien qui existe entre les personnes appartenant à la même organisation, qui participent au même travail. » Cette définition révèle l'élargissement de la fraternité à un groupe plus important que la famille. Il reste néanmoins que ce groupe n'inclut pas la totalité de l'humanité et se limite très souvent à des associations, des regroupements, qu'ils soient sociaux, politiques, religieux, culturels ou autres.

 

    Malheureusement, il arrive parfois que certaines de ces religions ou organisations philosophiques et caritatives n'appliquent la solidarité qu'entre leurs membres, excluant toute autre personne qui n'appartiendrait pas à leur milieu, les rendant par le fait même sectaires. Dans l'ensemble, que ce soit dans le cadre de la famille ou encore dans un groupe associatif, la notion de fraternité reste limitée à des personnes bien ciblées, d'où son caractère restrictif.

Le sens véritable de la fraternité universelle

 

    Or, parler de fraternité universelle revient à se libérer des restrictions imposées par la famille et les groupes associatifs, pour accéder à une conception englobant l'humanité toute entière, comme l'atteste la définition suivante : « union fraternelle entre les hommes, le sentiment de solidarité qui les unit. » À travers cette définition, nous comprenons que la solidarité dont il est question n'est pas adressée à une personne bien ciblée, mais se déploie en faveur de tous les êtres humains, où qu'ils soient et quels qu'ils soient.

 

    Le terme « universel » quant à lui signifie ce qui « embrasse la totalité des êtres et des choses ». La fraternité universelle est donc celle-là même qui va au-delà des liens du sang, des activités corporatives ou de groupes, mais également transcende les cadres culturel, tribal, matériel ou celui des organisations de toutes natures. Elle se situe au sommet de la pyramide et incorpore tous les êtres humains sans distinction de race, de sexe, de catégorie sociale etc. Elle fait fi des intérêts personnels, égoïstes qui sont de véritables facteurs de division et de guerres, pour n'accorder de l'importance qu'à ce qui unit et fait progresser l'humanité. Elle renvoie aux liens de solidarité, de concorde, de partage et de paix qui devraient exister entre tous les êtres humains, et les valeurs qui devraient les guider dans leurs relations. On peut citer l'écrivain américain du XVIIIe siècle Thomas Paine qui disait : « Le monde est mon pays, tous les hommes sont mes frères. »

 

    Les hommes doivent cesser de se figer dans une ère géographique et devenir des citoyens du monde. Ils doivent cesser de se regarder en chiens de faïence, voire en ennemis. Ils doivent comprendre qu'ils sont tous des frères, quelles que soient leurs origines et leurs convictions. En tant que tels, leurs comportements et leurs jugements ne doivent pas être une source de malheur pour les autres, mais s'orienter vers le bien général. L'empathie doit remplacer l'antipathie, l'amour doit se substituer à la haine, la guerre et les haines de toutes sortes doivent s'effacer pour faire place à la paix, et la confusion doit céder la place à l'harmonie. Ceci nécessite de mettre l'accent sur le savoir être, l'amour et la fraternité qui rejettent toutes les formes d'intolérance, et s'exprime par la reconnaissance et l'acceptation de l'autre en dépit des différences somme toute logiques. Mais peut-on sans risque de se tromper prétendre qu'une telle fraternité existe sur le plan universel ?

 
Obstacles à la fraternité universelle

 

    Le chemin qui mène à la fraternité universelle est parsemé de nombreuses embûches : la volonté de puissance, le désir de posséder, d'imposer ses opinions et convictions aux autres, l'orgueil, la jalousie, l'envie, la haine, etc. Les intérêts sont si divergents que l'on peine à trouver un dénominateur commun dans les actes des uns et des autres. La recherche effrénée des possessions matérielles ou encore les replis identitaires, constituent à n'en point douter des écueils à la manifestation de la fraternité sur un plan universel.

 

    Les valeurs de solidarité, d'entente, de dialogue et de partage sont de plus en plus bafouées. Les relations interétatiques sont fondées exclusivement sur des intérêts partisans, sur la volonté de dominer et sur l'exclusion et le rejet des autres. Dans tous les domaines de la vie, les inégalités sont si profondes et si criardes que l'on est en droit de s'interroger sur la capacité des hommes à agir dans l'intérêt général. La course aux armements, les multiples tensions de par le monde, les guerres créées et alimentées par les puissants et les plus riches au détriment des plus pauvres, les discriminations de toutes sortes, et les conflits ayant pour fondements les différences religieuses, politiques et autres, et enfin l'intolérance, finissent d'assombrir le triste visage qu'offre l'humanité actuelle.

 

    La notion de fraternité fait cependant partie intégrante de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Dans son article premier, il est dit : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

 

    Mais des guerres ont été menées par le passé et continuent de l'être au nom de la civilisation ou de Dieu, et des populations entières sont massacrées sans aucune retenue. Un tel tableau fait naturellement frémir et finit par persuader plus d'un que la fraternité universelle, cette volonté de vivre ensemble, de dépasser nos différences, de considérer l'autre comme son frère en faisant abstraction du temps et de l'espace, d'agir pour le bien de tous, de se sentir solidaires autant du malheur que du bonheur des autres et d'œuvrer pour l'intérêt de tous, n'est que le fruit de l'imagination, en somme, une utopie.

Une lueur d'espoir pour l'humanité

 

    Fort heureusement, ce tableau si sombre est contredit par les actes des hommes à la conscience universelle éveillée, qui consacrent leur énergie à réfléchir et agir pour le bien de la collectivité humaine. Les organisations internationales en sont un exemple et demeurent malgré leurs imperfections un espoir de fraternité sur un plan universel. Des hommes, sans distinction de race, de religion, de formation ou d'opinion se retrouvent pour penser et agir en faveur du bien-être des autres. À cela s'ajoutent des individus et/ou des personnalités qui, à travers de nombreux actes empreints d'humanisme et de générosité, apportent réconfort et joie à leurs semblables par-delà les frontières.

 

    Ces personnes, animées d'un grand amour pour l'humanité et conscientes que la dignité de l'homme est sacrée, ont toujours donné une orientation humaniste à leur existence. Elles ont essayé de le faire malgré les pesanteurs environnantes, malgré les préjugés fondés sur des notions aussi artificielles que la religion ou la politique. Elles se sont souvent insurgées, parfois au péril de leurs vies contre les injustices, les inégalités, les actes portant atteinte à la dignité des hommes et des peuples. Cependant au-delà de ces actions menées par des hommes et des femmes de bonne volonté, de nombreux écueils vers la fraternité universelle, et notamment l'absence de spiritualité, se font ressentir.

La spiritualité comme fondement de la fraternité universelle


    La spiritualité est incontestablement le socle sur lequel doit reposer la construction d'une véritable fraternité universelle. Elle n'est pas une croyance, ou une simple adhésion à quelque forme de religion, mais plutôt une quête permanente qui doit conduire chaque être humain à donner un sens à son existence tout en exprimant ce qu'il y a de meilleur en lui. Chacun devrait vivre sa foi et ses convictions avec tolérance et humanisme, avoir un comportement noble et poursuivre des idéaux fondés sur l'altruisme, le désintéressement, et le respect de l'autre.

 

    En pratiquant la spiritualité, chaque être humain établit un état d'harmonie constant en lui-même sur les plans physique, mental, émotionnel et spirituel. Cet état d'harmonie met l'individu en résonance avec le Divin, et par conséquent avec tous les êtres humains. Dès lors, la conscience de l'unité avec les autres ne fait plus aucun doute, et la tendance à les considérer comme nous-mêmes devient prédominante dans notre conscience. Les autres ne sont plus seulement pour nous des frères et sœurs de sang ou des amis, parents ou coreligionnaires, etc., mais des âmes-sœurs émanées d'une seule source, l'Âme universelle.

 

    La spiritualité doit donc devenir pour chaque être humain un mode de vie et un idéal. Pour y parvenir, nous devons sans cesse user de ce que les mystiques en général et les Rosicruciens en particulier ont toujours qualifié d'« alchimie spirituelle », en d'autres termes nous évertuer sans relâche à transformer nos défauts en leurs qualités opposées. Qui que nous soyons, quelle que soit notre position dans la société, nous avons un devoir impérieux : celui de rendre le monde meilleur. Mais nous n'y arriverons que lorsque chaque être humain prendra conscience de sa véritable nature, celle qui « va au-delà des identités individuelles », et qui relie chacun de nous au Divin et à l'ensemble de l'humanité. C'est un devoir et une nécessité cosmique.

 

    

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Revue Rose+Croix - Automne 2020